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Phantaisies Nocturnes

La réalité des songes

2 Janvier 2014 , Rédigé par Eldy Muziotti

 Laissez-moi vous conter une histoire. Celle de Nastasia, une petite fille vivant dans la terreur dès que le crépuscule s'abattait sur ses jours.

 Elle vivait avec son père et ses deux frères dans une maison dont se dégageait une poignante tristesse. Des portraits de famille couvraient les murs et les commodes. Une femme d'une beauté sans pareil paraissait sur la majorité de ces instants figés sous verre. Les simples photos de cette femme étaient la seule réelle source de lueur dans un environnement triste et gris. Il s'agissait de la mère de Nastasia, emportée par une foudroyante méningite quatre mois plus tôt. Depuis ce jour tragique, la famille ressentait le poids de l'absence, mais aussi celui de l'enfance meurtrie par ce violent coup de poignard en une vie devenue souffrance et amertume. 
 Nastasia avait pour habitude de confier ses craintes et ses doutes à sa mère. Elle s'asseyait sur ses genoux et lui parlait de sa journée, lui racontait ses cauchemars lorsqu'ils troublaient sa nuit, se laissant aller pendant que sa mère brossait la douce chevelure vénitienne de l'enfant. C'était un rendez-vous quotidien que Nastasia n'aurait pu manquer tant il lui permettait de se sentir écoutée et rassurée. Seule sa mère était en mesure de lui apporter tant de douceur dans sa vie. Son père n'échangeait que rarement quelques mots avec elle, préférant l'alcool à la présence de ses enfants. Elle s'en moquait, elle était heureuse lorsque sa mère était auprès d'elle.

 Mais tout avait basculé lors de cette triste et pénible nuit de novembre durant laquelle sa mère s'était éteinte, telle une flamme réconfortante mourant dans le foyer alors que nous la voudrions éternelle. Dès lors, chaque nuit, Nastasia devait faire face à la pire des réalités, celle qui ne cessait de lui rappeler qu'elle était coupable. Si seulement elle s'était confiée, sa mère la tiendrait dans ses bras. Si seulement elle lui avait raconté son cauchemar, ce jour-là... N'ayant plus personne à qui se confier, elle garderait à jamais ce sentiment de culpabilité.
 Lorsqu'il rentrait de son travail, son père s'asseillait dans un fauteuil et buvait sans mesure, faisant face à quelques photos sur lesquelles son épouse se montrait souriante, sublime. Il n'avait jamais été aussi distant avec Nastasia. Elle se sentait abandonnée en cette épreuve. Peu à peu, une certaine rancoeur envahissait son âme d'enfant et semblait tuer sa douceur. Ses nuits en témoignaient par la violence de ses cauchemars et la terreur qu'elle ressentait à son réveil.
 Un soir, elle fit un rêve plus terrible encore. Un incendie semblant envelopper les murs de la maison et un drame... Nastasia s'était réveillée en larmes, réalisant qu'elle devait en parler à son père. Mais comment pouvait-elle aborder un tel sujet avec un homme qui ne prêtait pas même attention à son existence? Elle se résigna finalement à ne rien dire.

 La journée se déroula comme celles l'ayant précédée durant quatre mois. Le soir venu, son père rentra, s'installant dans son fauteuil avec une bouteille de Vodka. Installé à la table, l'un de ses fils rechargeait une lampe à pétrole. Il l'alluma dès que ce fut fait et appela son père afin de le lui dire. L'homme saoul, qui jusqu'ici somnolait mollement au creux de son fauteuil, se leva difficilement et se dirigea en titubant vers son fils, le regard mauvais. «Tu me réveilles pour ça? Hein? Tu crois que je mérite d'être réveillé pour une connerie?» hurla-t-il à l'encontre de son fils, projetant violemment la lampe au sol, le bon-sens s'étant visiblement évaporé de son esprit.
 La lampe mis feu au tapis, mais le père fit comme s'il n'en était rien et continua de hurler, allant jusqu'à empoigner violemment son fils par les épaules. Voyant l'incendie devenir important, le jeune-homme tenta de raisonner son père et se dégagea de sa puissante prise.
 Nastasia était assise parterre, la tête posée sur son lit et l'esprit ailleurs lorsqu'elle senti enfin l'odeur de fumée qui lui fit réaliser qu'un nouveau cauchemar était devenu réalité. Elle dévala les escaliers afin de retrouver ses frères et son père, mais les flammes avaient envahi la majeure partie de la maison. Bloquée, elle se précipita alors vers la fenêtre la plus proche, l'ouvrit non sans peine et s'échappa dans une douloureuse chute.

 Le corps et le visage égratignés, les larmes coulant sur son petit visage, elle tenta de se relever, mais une vive douleur à la jambe l'en empêcha. Paniquée, elle cria de toute sa voix afin d'obtenir de l'aide et l'un de ses frères arriva en courant. Il la saisie avec précaution et la porta afin de s'éloigner au plus vite du brûlant enfer qui semblait les poursuivre. Ils rejoignirent ainsi l'attroupement de badauds qui observait la maison dévorée par les flammes gigantesques.
 Ils retrouvèrent leur frère aîné qui leur annonça, la voix tremblante, que leur père n'était pas sorti de la maison et que tout espoir était malheureusement vain. Nastasia fondit alors en larmes, tentant d'avouer à ses frères qu'elle était coupable, que rien ne se serait produit si elle avait tout dit. Mais ils ne l'écoutèrent pas, pensant qu'elle était en état de choc et qu'elle en perdait la raison. Ils quittèrent les lieux afin de se rendre chez des amis de la famille.
 Ils furent tous trois hébergés et protégés, mais Nastasia ne parvenait pas à se remettre de cette nouvelle tragédie. Ses frères aidaient beaucoup le couple qui les hébergeait et faisaient preuve d'une incroyable résistance, malgré les drames qu'ils avaient eu à traverser. Mais le doux visage de leur soeur était marqué de cernes noires, son regard semblait montrer toute la fatigue du monde et son corps s'affaiblissait à une vitesse alarmante. 

 Par crainte de voir à nouveau ses angoisses nocturnes prendre forme réelle, la fillette avait décidé de ne plus jamais dormir. Des jours et des nuits durant, elle refusa de laisser ses lourdes paupières l'emprisonner dans l'univers angoissant de ses songes.
 Un matin, l'épuisement lui fit pousser son dernier souffle, l'emportant dans un monde où le sommeil est éternel, sans rêves, sans cauchemars dont elle n'aurait pu confier les sombres récits. 
C'est ainsi que son enfance fut figée à jamais, loin des peurs et des larmes.
 Il est une phrase que nous entendons souvent sans trop y prêter attention: «Racontez un rêve et jamais vous ne le verrez se réaliser.» Mais nous oublions cette règle lorsque les cauchemars nous coupent le souffle durant notre sommeil. Or, la réalisation d'un rêve, qu'il soit bon ou mauvais ne devrait pas être prise à la légère. Afin de décrire ce sort, certains parleront de prémonitions quand d'autres aborderont vaguement des impressions de déjà-vu, mais peu réalisent son importance.

 Malgré elle, Nastasia ne connaissait que trop bien la réalité des songes.

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N
Très bien également, continue comme ça ;)
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